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« Les muscles d’Israël » janvier 1, 2009

Posted by jay2go in Moyen-Orient.
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Publié dans Le Devoir le lundi 29 décembre 2008.

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On ne peut pas dire que les autorités israéliennes n’avaient pas prévenu qu’elles répliqueraient aux combattants de Gaza s’ils continuaient leurs harcèlements à la roquette contre les localités voisines. Depuis la fin de la trêve, le 19 décembre — et même un peu avant — les jets de roquettes avaient repris. Ces obus ont beau ne tuer ou ne blesser que très rarement — contrairement aux projectiles israéliens — ils maintiennent une pression énorme sur les citoyens de Sdérot et d’Ashkelon, les localités israéliennes visées.

Dès lors se pose la question de la mesure — ou de la démesure — de la réplique. Comme en 2006, lors de la guerre avec le Hezbollah libanais, les terribles images de la guerre et leurs statistiques macabres nous disent qu’une vie israélienne, dans cette arithmétique dantesque, vaut beaucoup plus — dix fois, cent fois, mille fois plus — qu’une vie de Palestinien ou de chiite libanais. Une variante de la loi du talion… mais avec un gros «facteur multiplicateur». On constate aussi cet impressionnant déséquilibre lors des échanges de prisonniers.

Les Israéliens répondent: mais nous sommes forcés de riposter; tout le blâme doit reposer sur le Hamas et ses provocations. Explication qui revient à dire qu’une fois Frankenstein réveillé par les harcèlements terroristes, on ne répond plus de rien… car la réplique est un automatisme dérivé de l’agression initiale, même beaucoup plus petite.

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Question, donc: cette réplique d’Israël est-elle exagérée? Tentons un parallèle avec une situation imaginaire…

Un mystérieux groupe terroriste fait sauter des bombes de faible intensité dans Montréal-Nord. Elles explosent fréquemment, en général sans blesser personne, ni faire de très grands dégâts — à quelques exceptions près, puisqu’il y a quand même eu deux morts (dont un enfant en bas âge) et six blessés. Les dernières bombes auraient tendance à être un peu plus puissantes. Et puis, un flou existe sur les «réseaux» internationaux peut-être actifs derrière ce groupe local.

Ces attentats ont pour effet de faire monter la tension, de créer peu à peu une véritable psychose obsessionnelle dans une zone — Montréal-Nord — déjà fort touchée par la crise et le malaise social.

Pour épauler un corps policier dépassé, l’armée et les services secrets (y compris étrangers) se mettent peu à peu de la partie et «conseillent» la police locale. Ils en viennent à déterminer approximativement où se trouvent les membres de ce réseau qui maintient la ville sous la menace des attentats.

Une nuit, sans crier gare, ayant acquis la conviction que le gros de la bande terroriste se trouvait dans un périmètre circonscrit — un ou deux pâtés de maisons, mais sans savoir exactement dans quelles maisons — les autorités déclenchent une attaque foudroyante, à l’arme lourde, avec des hélicoptères et des centaines de soldats: des tirs de missiles contre tout le secteur, pour démolir les maisons suspectes et éradiquer la menace.

Le résultat est épouvantable: des dizaines de morts, des centaines de blessés, y compris des innocents, femmes et enfants. Deux cents maisons détruites, un quartier ravagé. Mais l’opération a «réussi», puisque parmi les tués et les blessés figurent d’authentiques terroristes, plusieurs dizaines, qui — les documents saisis le montrent — s’apprêtaient à passer à la vitesse supérieure dans de futurs attentats.

Question à développement: la réplique des autorités était-elle, oui ou non, «proportionnée»? Justifiée?

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Outre le questionnement moral sur le caractère démesuré ou non de la riposte israélienne, avec son cortège de victimes civiles et de jeunes «cadets» du Hamas tués en masse, cette nouvelle guerre frontalière soulève des questions stratégiques et politiques.

Les autorités israéliennes pensent-elles vraiment pouvoir éradiquer la menace contre Sdérot et Ashkelon en tuant des centaines, voire des milliers, de personnes et en tirant sur le Hamas, toutes tendances confondues? N’ont-elles pas le souvenir de la campagne de l’été 2006 au Liban, au cours de laquelle le déploiement de l’extraordinaire puissance de feu d’Israël n’avait abouti qu’à un match nul avec le Hezbollah?

Se pourrait-il que l’offensive actuelle ne réanime, justement, ce front nord avec le Hezbollah, qui lui aussi dispose de lance-roquettes… même si ces armes ne sont rien en comparaison avec celles de l’État juif? On y verrait, pour la première fois, un mouvement chiite faire alliance avec un mouvement sunnite…

Et puis, l’Iran, parrain de ces deux mouvements, peut se féliciter de cette diversion, car Israël, au cours des dernières semaines, avait tenté de mettre la pression sur Téhéran en réactivant la campagne contre «l’imminence» (supposée) du danger nucléaire iranien. Aujourd’hui, le monde regarde ailleurs pendant que les actions d’Israël peuvent paradoxalement faire le jeu de Téhéran.

Dernière observation: aujourd’hui, des innocents palestiniens meurent, non seulement (et indirectement) parce que des extrémistes du Hamas ne veulent pas reconduire la trêve… mais aussi parce que des politiciens israéliens se trouvent en pleine campagne électorale et que c’est à celui — ou à celle — qui montrera les plus gros muscles.

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François Brousseau est chroniqueur d’information internationale à Radio-Canada. On peut l’entendre tous les jours à l’émission Désautels à la Première Chaîne radio et lire ses carnets dans http://www.radio-canada.ca/nouvelles/carnets.